20 mai 2020, propos recueillis par Julien Leprovost
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Nicolas Bérard, auteur de 5G mon amour :
« les ondes sont un danger très facile à oublier : elles ne se voient pas, elles ne s’entendent pas, elles ne se sentent pas
et elles ne se touchent pas »
Électrosensibilité, effets sur la santé à long terme des ondes, prolifération des objets connectés, impact sur la consommation d’électricité et même utilité réelle, la 5G questionne, mais ne semble pas vraiment faire l’objet de débats. Avec 5G mon amour, Enquête sur la face cachée des réseaux mobiles (éditions Le passager clandestin), le journaliste Nicolas Bérard interroge la pertinence sanitaire, écologique, sociale, économique et politique du développement tout azimut des réseaux mobiles. Résultat de 3 années de travail, son enquête montre le pouvoir des géants des communications, notamment en ce qui concerne les normes et les projets de société qui se cachent derrière le tout-technologique. Au-delà des enjeux de santé publique posée par l’exposition aux ondes électromagnétiques, les technologies 5G d’Internet mobile à haut-débit soulèvent d’autres questions de société que nous abordons avec Nicolas Bérard dans cet entretien.
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Au début de votre livre, vous écrivez que vous étiez sceptique sur l’électro-sensibilité et les risques sanitaires des ondes électromagnétiques, qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
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En travaillant d’abord sur le compteur Linky, j’ai rencontré des lanceurs d’alerte et des associations qui dénonçaient les mensonges de l’industrie sur les normes censées nous protéger. Il existe un certain nombre d’études qui montrent très clairement un effet des ondes électromagnétiques sur la santé. Les ondes sont un danger très facile à oublier : elles ne se voient pas, elles ne s’entendent pas, elles ne se sentent pas et elles ne se touchent pas. Du coup, comme beaucoup de monde, j’ignorais les risques.
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En quoi la généralisation de la 5G présente-t-elle des risques sanitaires et environnementaux nouveaux ?
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Le déploiement de la 5G est prévu sur le moindre centimètre carré de notre planète, ce qui expose les êtres humains mais aussi tous les êtres vivants aux ondes électromagnétiques. Or, cette exposition affecte la santé. De plus en plus de personnes déclarent en souffrir et se disent malades des ondes alors que les installations émettrices se multiplient. L’utilité de la 5G n'appairait pourtant pas forcément nécessaire sachant qu’elle rajoute un nouveau réseau aux 3 qui existent déjà et, qu’en l’état actuel, nous n’avons aucune connaissance sur ses effets sanitaires.
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Avez-vous un exemple des effets possibles des ondes électromagnétiques sur la santé ?
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En France, une ligne à haute-tension a été installée près de l’exploitation d’un couple d’éleveurs. Le lait des vaches de leur troupeau n’était plus vendable parce que ces dernières développaient énormément de globules blancs. Le lait se montrait alors impropre à la consommation. Lorsque cette ligne a cessé de fonctionner, le lait est redevenu comestible. Les éleveurs ont attaqué RTE (Réseau de transport d’électricité) et gagné car le lien entre l’exposition aux ondes et la santé des vaches était indéniable. Il faut savoir que les lignes haute-tension émettent le même type d’ondes que celles employées dans la téléphonie mobile.
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Qu’est-ce que qui vous a le plus surpris, voire choqué, en réalisant cette enquête ?
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La complicité très forte entre le pouvoir politique et le pouvoir industriel m’a frappé. Les liens sont étroits entre Emmanuel Macron, la « start-up nation » et les géants de la téléphonie mobile. Il en découle que, certainement, on a un rapport de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui dit qu’elle n’a aucun élément pour juger de la dangerosité de ce nouveau réseau et de ses ondes sur le vivant. Malgré ça, comme si la 5G était indispensable, on s’apprête à lancer ce réseau en France, en Europe et dans le monde.
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Alors que la pandémie de Covid-19 oblige à prendre des mesures drastiques face à un virus invisible et omniprésent, pourquoi le principe de précaution ne s’applique-t-il pas aux ondes ou à d’autres menaces connues comme les produits phytosanitaires ?
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Il s’agit toujours d’une question de lobbying. Quand Nicolas Hulot a démissionné de son poste de ministre, il se demandait qui avait le pouvoir entre les politiques et les lobbys. Dans le livre, je m’attache à montrer la consanguinité entre le pouvoir actuel et les géants de la téléphonie. L’information est passée inaperçue, mais ils ont profité de l’état d’urgence sanitaire pour enlever les dernières réglementations concernant l’installation des antennes.
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À la lecture de votre ouvrage, on a une impression de déjà-vu sur le poids des lobbys. Par soucis d’économies tant budgétaires qu’intellectuelles, l’État ne se repose-t-il pas trop sur une expertise privée au détriment d’une recherche publique guidée par l’intérêt général ?
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Je vois l’État plus machiavélique car je pense qu’il le fait sciemment. Les enjeux économiques autour de la 5G, de la téléphonie et des objets connectés sont tels que je crois que l’État préfère ne pas savoir. Emmanuel Macron a fait passer une loi qui fait disparaître la seule taxe destinée à financer la recherche scientifique publique sur les ondes. Désormais tout est confié aux opérateurs téléphoniques.
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Quel regard portez-vous sur le recours massif aux télécommunications afin de faire face à la pandémie de Covid-19 et leur place dans le monde d’après ?
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Il y avait une certaine nécessité de recourir à ces technologies. Je n’y suis pas opposé, je me demande juste pourquoi nous ne développons pas la fibre partout au lieu de la 5G.
J’ai l’impression que cette crise a servi de prétexte à la numérisation du monde dans l’éducation ou dans la surveillance. Il faudra voir comment cela se passera une fois la crise derrière nous. Par exemple, le maire de Nice Christian Estrosi a réclamé un accès aux données des compteurs Linky pour savoir si les gens respectaient le confinement et étaient bien chez eux, à combien etc… Tout est déjà dans les cartons, cette crise du Covid-19 a permis d’accélérer le mouvement, et on verra jusqu’où. On a vu des drones voler pour surveiller la population. En tout cas, la crise actuelle est révélatrice du monde qui se prépare.
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Enfin, à l’heure où la question du travail prend un sens nouveau, vous mettez en garde contre la prolifération des objets connectés et des smart techs. En quoi ces derniers présentent-ils des risques pour le travail ?
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De manière globale, plus de numérique signifie moins de postes dans l’éducation et dans la santé. Par exemple, la 5G s’est vantée sur le fait qu’un chirurgien puisse opérer un patient à plusieurs milliers de kilomètres de distance. C’est une façon de détruire de l’emploi et la proximité des services publics dont le système de santé. La question ne devrait pas être de pouvoir ou non opérer à une telle distance, il faudrait plutôt se demander pourquoi n’y a-t-il pas un hôpital à proximité du patient ? Un chirurgien et des moyens proches de chez lui ?
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À chaque fois, le numérique sert de prétexte pour faire disparaître des moyens au nom de plus de souplesse ou de la rationalisation. En France, certains élus disent que le portable est un outil important de santé pour prévenir les secours en cas d’accident. Or, dans le même temps, ce sont eux qui votent la suppression de lits et de postes dans les hôpitaux. Le numérique sert à masquer des économies budgétaires sur les biens communs et les services publics.